Le mauvais gouvernement
Les causes profondes des émeutes en France et pourquoi de nouvelles restrictions à l'immigration aggraveront encore la situation
Les fresques d'Ambrogio Lorenzetti ornant le Palazzo Pubblico à Sienne racontent une histoire éternelle de la politique. Elles dépeignent une cité prospérant sous des lois justes et s'effondrant sous de mauvaises. Ce dernier volet de l'allégorie est aujourd'hui d’une actualité brûlante, alors que les émeutes en France peignent un tableau urbain désolé, reflétant un échec de l’action publique.
La situation s'est tellement détérioré qu'un usage généralisé de la force est désormais inévitable, notamment pour saisir l'arsenal militaire qui prospère dans les banlieues. Pourtant, il est tout aussi essentiel de s'attaquer aux mauvaises politiques qui ont conduit à cette situation. Le déclin français a atteint un tel degré parce que tous les partis politiques se sont focalisés sur des réponses inefficaces et ont négligé les racines du problème.
Les deux principales réponses depuis la fin des années 1960 ont été, d'une part, les politiques antiracistes, et d'autre part, les politiques d'immigration restrictives.
La gauche identifie aujourd'hui le racisme comme la racine des problèmes en France. Cette approche néglige, cependant, que le gouvernement français a constamment promu une analyse de la situation à travers ce même prisme depuis 1973, lorsque les tensions actuelles entre immigrés et natifs ont émergé. Pour lutter contre le racisme, une série d'interventions de l'État ont été déployées dès les années 1970, des initiatives culturelles aux politiques de discrimination positive.
Toutefois, ces politiques n'ont pas su endiguer la progression du problème. Si leur mise en œuvre se poursuit, elles mèneront à l'édification d'une société totalitaire, où l'expression d'opinions personnelles pourrait donner lieu à des délations, où la censure se généraliserait et où le contrôle public de la pensée serait la norme. Surtout, ces politiques négligent que l'essence du problème repose sur les politiques gouvernementales et l'impact qu'elles ont eu sur le lien social.
Quant à la droite, elle est obsédée par les restrictions à l'immigration. Selon certains discours de droite, on pourrait croire que les frontières du pays sont grand ouvertes et qu'il existe même des initiatives publiques pour encourager l'immigration. Cette perception est fortement dissonante avec la réalité à laquelle sont confrontés d'innombrables migrants qui périssent chaque année en Méditerranée, tentant de surmonter les restrictions pour atteindre les côtes européennes.
Les politiques de restriction à l'immigration, mises en œuvre depuis plus d'un demi-siècle, ont échoué. Elles n'ont fait qu'exacerber les tensions et isoler la France sur la scène européenne et mondiale. Renforcer encore les restrictions ne ferait que pousser davantage les immigrés dans l'ombre et compliquer leur intégration.
Le vrai coupable – le mécanisme qui piège les immigrés de pays pauvres ou leurs descendants dans un cycle de criminalité – échappe aux programmes politiques. Aborder cette question exige de reconnaître l'échec de l’action publique en général.
L'élément négligé est l'absence d'un marché du travail légal suffisamment vaste pour les immigrés peu qualifiés. La racine de leur aliénation, leur plongée dans une économie irrégulière et criminelle et leur méfiance à l'égard des institutions et de la démocratie ne résideraient-elles pas là ?
En matière de réglementation du marché du travail, les travailleurs nationaux ont revendiqué à la fin des années 1960 sous l'égide de l'État une protection par le biais d'un instrument à l'efficacité douteuse, mais certainement capable de réduire les opportunités d'autres. Dans les années 1970, la corrélation entre les augmentations conséquentes du salaire minimum réel et l’effondrement de la demande de travail non qualifié fut claire. Par la suite, la plupart des enfants d'immigrés africains n'ont pas été en mesure de trouver des opportunités d'emploi légales avant un âge adulte avancé.
Le cœur du problème est l'absence d'un marché du travail légal large pour les immigrés, principalement à cause du salaire minimum. Dans les années 1970, les dirigeants français, tels André Méric, vice-président de gauche du Sénat, ou Edouard Bonnefous, ancien ministre et futur académicien, étaient conscients que les hausses proposées du salaire minimum décimeraient l'emploi des immigrés.
Ce qu’ils n’anticipaient pas était que ces immigrés resteraient en France, subsistant dans une économie alimentée par les subventions et allocations, les extorsions, les vols, la contrebande et d'autres activités illégales. Dans un monde idéal, ceux qui restaient en France auraient lutté pour acquérir des compétences à même de renforcer leur employabilité. Beaucoup l'ont fait, mais pour beaucoup d’autres, l'effet inverse s'est produit : à mesure que leurs quartiers étaient envahis par le crime et la violence, le marché de l'emploi formel devenait de plus en plus inaccessible.
La violence est contagieuse. Celle engendrée par des populations détachées du marché régulier a vocation à se propager dans toute la société. Les événements récents ont été si destructeurs parce que des jeunes sans antécédent migratoire pertinent et avec une meilleure intégration socio-économique ont eux aussi été happés par cette violence. Ce sont les Kevin et les Matteo de M. Darmanin.
Le problème en jeu est l'échec de l’action publique en général. Il est essentiel que le gouvernement cesse d’interférer avec un marché libre du travail, qui seul peut permettre aux immigrés de trouver des emplois légaux. À ce stade, il est également nécessaire de légaliser les drogues douces pour démanteler les réseaux criminels qui prospèrent dans ce commerce. En substance, les interventions excessives de l'État ont nui de manière disproportionnée aux plus vulnérables, alimentant les flammes du chaos social et politique.